LE SOLEIL EST UNE ÎLE / CAPUCINE OLLIVIER

Coup de   IMPROSPHÈRE  !

Capucine Ollivier : chant / Alain Soler : guitare (1, 2, 4, 5, 8, 9, 11, 12), orgue (6, 10), basse électrique (7) / Antony Soler : batterie, percussions
Laurent David : basse électrique (1, 3, 6, 8, 9) / Lionel D’Hauenens : basse électrique (4, 10) / Pierre Fénichel : contrebasse (2, 5, 11, 12) 
Julien Labergerie : sax alto & ténor (2, 5, 6, 11, 12) – clarinettes et clarinette basse (1, 4, 8, 9), sax baryton (9, 10), solo sax alto (2, 5, 7, 8, 9, 11)
Robin Nicaise : sax tenor (10, 12)  /  Jean-Bernard Oury : trompette (11, 12) / Léo Centofanti : duduk (1, 4) 
Christophe Lampidecchia : bandonéon (1), accordéon (6) / Justin Layani : piano (3, 7) / Pierre Pettinaroli : saxophone ténor (7)
Quatuor à cordes (3, 6, 10) : Mario Forte & Fung Chern Hwei (violon), Benni von Gutzeit (alto), Jeremy Harman (violoncelle)
Arrangements : Alain Soler / Textes : Michel Ivonio (sauf 8, 9)
Enregistré en 2021 à l’Atelier de Musiques Improvisées (04 Château-Arnoux) et au Studio Panda (38 Miribel-Les-Échelles) Prise de sonAntony Soler
Laurent David à la basse électrique, enregistré en 2021 au Studio Taitbout (75 Paris) – Prise de son : Antoine Delecroix
Quatuor à cordes enregistré en janvier 2019 au Eastside SoundStudio (New York) – Prise de son : Marc Urselli
Mixage : Antony Soler / Mastering : Marie Pieprsownik à Translab 
(Durance-CO122023 / Absilone)

1 . Lutin, Bois Du Thé !  -  2 . Pour Bill  -  3 . Le Soleil Est Une Île  -  4 . Émeraude  - 5 . À Vous Tendrement
6. La Comédie De La Vie  -  7 . Louise  -  8 . Oncle Archibald  -  9 . Les Marquises 
Seulement en dématérialisé - Bonus tracks  -  
10 . Mon Âme  -  11 . Comme Il m’Apparaît Ce Soir  - 12 . Au Centre De Mon Rêve

Le Soleil Est Une Île

Il aura fallu presque dix ans depuis le précédent album de Capucine Ollivier (En Brassant Brassens), avant que nous parvienne Le Soleil Est Une Île, son dernier opus.
Enregistré et produit par l'excellent label Durance, sur quatre années (de 2019 à 2022), dans différents studio d'enregistrement, ce projet réunit une pléiade de musiciens, tous excellents et indubitablement très investis ici. 

Ambitieux, surprenant et très réussi, cet album collecte des compositions originales d'excellente facture que l'on doit à Alain Soler ou à Capucine Ollivier (Louise, Pour Bill., A Vous Tendrement..), deux reprises ; une de Jacques Brel (Les Marquises), l'autre de Georges Brassens (Oncle Archibald), ainsi que trois adaptations françaises de standards issus du répertoire américain ; Mon Âme, dans une version aussi sublime que poignante, correspond à l'intemporel Soul Eyes de Mal Waldron, Comme Il m'Apparaît Ce Soir, morceau interprété de façon très ludique (voire festive) par les excellents solistes qui y performent correspond à The Way You Look Tonight de Jerome Kern enfin, Au Centre De Mon Rêve, est une étonnante version juxtaposant deux tempos et deux métriques différentes ( en 4 et 7 temps) du fameux In Your Own Sweet Way de Dave Brubeck. On déplorera seulement que ces trois morceaux ne figurent qu'en bonus tracks dans la version dématérialisée du CD (la production n'ayant pu obtenir les droits de reproduction mécanique nous a-t'on dit...)

De nombreux solistes sont invités, Christophe Lampidecchia, émouvant au bandonénon (Lutin Bois du Thé !) et magistral à l'accordéon (La Comédie), rajoute idéalement un supplément d'âme à la French touch clairement assumée dans ce projet tandis que Léo Centofanti, au duduk, dans ce même lutin apporte au contraire une touche d'Arménie très colorée, illustrant ainsi l'habitude initiée par le Jazz à réunir les métissages, ici pour le meilleur de la musique. Robin Nicaise au saxophone tenor, majestueux dans Mon Âme, et toujours d'un lyrisme sobre et pertinent est confronté à la trompette véloce et affutée de Jean-Bernard Oury dans Au Centre De Mon Rêve ; alliance idéale des contraires. Nous découvrons ici Julien Labergerie, officiant aussi bien au saxophone alto, qu'au ténor ou au baryton, formidable interprète des écritures complexes d'Alain Soler (qui a arrangé tout l'album) mais aussi formidable soliste sur nombre de titres ; son solo sur Pour Bill est tout bonnement captivant !

Et puis il y a, quelque part derrière ceux-là, les musiciens "au service" : la rythmique ; composée de Justin Layani, jeune pianiste très prometteur et inspiré, présent sur deux titres (Louise et Le Soleil est une île) et des hommes du "grave" ; à la basse fretless Lionel d'Hauenens, au son unique, que l'on a pu entendre il y a quelques années au côté du grand Larry Schneider, et qui joue ici sur deux titres (Mon Âme et Émeraude), Pierre Fénichel, à la contrebasse (mais pas que, il a aussi signé les précieuses notes figurant dans le livret) musicien élégant, très sollicité et au tempo irréprochable se voit confier ici les standards ; swing oblige ! Laurent David, grande figure de la basse électrique à l'international, apporte un son plus soul & groovy s'ajustant parfaitement aux cymbales, tambours et percussions d'Antony Soler, batteur solide, au drive imperturbable, répondant avec goût aux envolées parfois inattendues des solistes. On lui doit aussi une couleur tribale (derbouka, tambours du bronx, congas et bongos évoluent çà et là, en fines couches "texturées"...) qui apporte beaucoup sur certaines plages, notamment sur les deux reprises déclinées brillamment en mesures impaires... Antony, également ingénieur du son, est aussi celui qui a, pour la majeure partie, enregistré et mixé l'album. 

Alain Soler, compagnon de route dès le premier opus de la chanteuse (Il Y Aura Un Soir... et dont Le Soleil Est Une Île nous parait, à bien des égards être un puissant écho), arrangeur / compositeur hors pair et polyinstrumentiste étonnant (orgue, guitare et basse sur cet album), a imaginé ici trois univers, trois types d'orchestration, usant de procédés d'écritures complexes, raffinés et lisibles dans un même temps : une prouesse ! Un quatuor à cordes enregistré à New York, composé de Mario Forte & Fung Chern Hwei (violon), Benni von Gutzeit (alto), Jeremy Harman (violoncelle) que l'on peut entendre sur les plages (3, 6 et 10), un trio de saxophones pour des inflexions plus swingantes (2, 5, 6, 11 et 12), et enfin un quatuor de clarinettes (dont Julien Labergerie s'est aussi fait l'interprète consciencieux), pour une atmosphère plus classique (1,4,8 et 9) expriment trois humeurs essentielles, indispensables à la diversité de ce projet d'envergure.

Alain Soler nous délivre aussi deux hommages d'importance ; l'un dédié à Bill Evans (rien que l'intro et l'outro de Pour Bill valent le détour) l'autre pour Louise Michel : "Et dans les caboches d'enfant tu faisais se lever les idées..." , des mots forts, une mélodie très inspirée West Coast, sur une trame harmonique empruntée  à Nardis (Miles Davis / Bill Evans) et à Whisper Not (Benny Golson) ; Louise : une merveille !

Enfin Capucine Ollivier, immense chanteuse et improvisatrice, développe à l'envi des scats d'une redoutable difficulté (Louise, Le Soleil est une ÎleComme Il m'Apparaît Ce Soir...) et interprète de savantes mélodies (Pour BillÀ Vous Tendrement...) sur la poésie touchante de Michel Ivonio, en déjouant les chausse-trappes rythmiques qui abondent (Le Soleil, Oncle Archibald...) et en apportant indéniablement à l'album une force de cohérence très palpable tout du long.

Un dernier mot sur l'objet "physique" réalisé superbement par François Parmentier. On se surprend à le manipuler et à se plonger dans les belles aquarelles de Pierre Ollivier, (père de Capucine... écho encore d'avec le  premier album où figuraient déjà quelques aquarelles de Pierre) ou encore à lire les indispensables notes délivrées par Pierre Fénichel.

Véritable plaisir des sens, cet album est un réconfortant petit chef d'oeuvre ! 


Improsphère - Mercredi 13 mars 2024 - Lucie Verdier